par Michel Vaïs » 01 Mars 2016, 21:15
J'ai répondu à cette question dans mon livre, p. 191 et suivantes. Je me permets de le citer :
Nudisme ou naturisme ?
En 2010, une recherche de l’Institut universitaire de technologie de Chypre, menée par Dimitrios Stergiou, m’a amené à préciser les distinctions entre nudisme et naturisme. C’est la première question que posent la plupart des journalistes. Je réponds que les deux termes sont souvent utilisés de façon interchangeable. J’ajoute parfois que beaucoup de nudistes sont des naturistes qui s’ignorent, ou que l’on commence nudiste pour se découvrir naturiste, ou encore : « Nudiste un jour, naturiste toujours ! ». Autre idée : le nudisme est peut-être la préhistoire du naturisme. Certains, et je suis de cet avis (voir chapitre 3, «Du nu au naturisme»), disent que les nudistes sont simplement intéressés à être nus, tandis que les naturistes le sont pour des raisons, dont la principale est d’être en harmonie avec la nature. Les mauvaises langues affirment que les naturistes ont besoin de se justifier... C’est peut-être vrai pour les néophytes, ou pour ceux qui cherchent à se convaincre de tenter le grand saut. Mais il y a bien davantage.
Ce qui est avéré, c’est que le terme de « nudisme » était largement utilisé dans les pays soumis à une forte présence religieuse, soit catholique en Europe (Italie, Espagne avant Franco, France avant la Deuxième Guerre mondiale). Le terme « naturiste » faisait référence à un mouvement de santé naturelle (alimentation, exercices, thérapie douce...) dont la nudité était exclue. Au point où, lorsque Albert Lecocq a fondé la Fédération française de naturisme, il existait déjà une telle fédération, avec le même nom, mais qui était «textile». C’est Lecocq qui a donné au terme « naturisme » le sens qu’il possède aujourd’hui, qui apparaît comme un quasi-synonyme de nudisme, mais avec les nuances que j’ai apportées.
Le Québec, longtemps marqué par un catholicisme qui séparait le corps entre le haut, siège du Bien, et le bas, où loge le Mal, ne fait pas exception à la règle. Par mes interventions dans les médias, j’ai tenu à populariser au Québec, contre vents et marées, le terme de «naturisme» en fondant la FQN. Mes modèles étaient la Fédération française de naturisme et la Fédération naturiste internationale, que j’avais connues lors de mes études en France. Dans les années 1970, les premiers centres québécois qui ont ouvert leurs portes se désignaient de préférence « clubs de nudisme », pour plus de clarté.
De son côté, un naturopathe nommé Jean-Marc Brunet proclamait dans sa rubrique du populaire Journal de Montréal que les nudistes usurpaient le terme de « naturisme » pour se donner bonne conscience, car les véritables naturistes, comme lui et ses clients, n’étaient pas des adeptes du nu ni des obsédés sexuels ! En fait, il se disait adepte du « Mouvement naturiste social ». Aujourd’hui encore, la chaîne de magasins de suppléments alimentaires Le Naturiste, commerce apparemment fort lucratif au Québec, constitue un vestige de cette époque opaque. En fait, on trouve dans le livre de Brunet La santé par le soleil, un discours contradictoire. D’une part, l’auteur recommande d’abandonner régulièrement et fréquemment tous ses vêtements pour profiter pleinement des agents naturels, eau, air, soleil; mais d’autre part, il proclame que «le naturisme, c’est le naturisme; le nudisme, c’est le nudisme». Il pourfend même les « entreprises purement mercantiles, marquées au coin de la recherche du sensationnalisme pour journaux jaunes, et destinées à exploiter les refoulements sexuels de cerveaux dérangés qui, dans notre société comme ailleurs, pullulent ».
Ce que l’on sait moins, c’est que Jean-Marc Brunet, qui a longtemps attaqué les naturistes dans les médias (mais n’a jamais répondu à mes invitations à débattre publiquement de ce qui l’y poussait), était lui-même un nudiste de placard. Sauf que, selon des témoins, c’est à l’étranger qu’il pratiquait le naturisme tel que nous l’entendons. S’il écrit qu’il faut prendre du soleil « avec le moins de vêtements possible », lui le prenait nu, mais, comme le curé, il semblait dire: « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. »
Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus, les naturistes se désignent eux-mêmes comme tels, même s’ils sont traités de « nudistes » par les autres. Ce terme a donc pris dans certains milieux une coloration péjorative, en tout cas, réductrice. Une attitude défensive consiste à affirmer : « Les naturistes, c’est nous et les nudistes, ce sont les autres. » On entend certains dire que les nudistes se contentent de fréquenter les plages tandis que les naturistes sont les « vrais », les sérieux, qui vont dans les centres, sont membres de clubs, militent pour le mouvement... D’autres affirment qu’un vrai naturiste est nu la plupart du temps, y compris chez lui. Je ne suis pas de cet avis. Toutes ces nuances découlent de la même idée.
Il a fallu davantage de temps au terme «naturisme» pour se répandre dans la langue anglaise. Après l’avoir popularisé au Québec à partir de 1977 (je précise pourtant que La Pommerie s’est désignée depuis le début « club naturiste de récréation et de camping » et s’appelle aujourd’hui « centre écologique et naturiste »), je l’ai fait résolument adopter sept ans plus tard par les fondateurs de la FCN pour le Canada anglais. (On songeait à créer une « association canadienne naturiste/nudiste ».) Entre-temps, mon homologue Lee Baxandall, qui a fondé The Naturist Society, dans la foulée de son mouvement Free Beaches, et le magazine Clothed with the Sun, devenu Nude & Natural ou N, a réussi à faire accepter le terme aux États-Unis. Dans ce pays, on ne parlait alors que de nudism et de sunbathing. Au début, Baxandall affirmait, avec courage et sens de la pédagogie: « Le mot naturisme est inconnu dans notre pays; à nous de lui donner un sens par notre pratique ! » Aujourd’hui, les seuls à se nommer encore « nudists » sont mal informés, ou tiennent à se placer résolument en marge d’un grand mouvement mondial.
Derniers anglophones à troquer le terme «nudism» pour «naturism», les Australiens ont avisé la présidente de la FNI, Sieglinde Ivo, le 17 janvier 2011, que lors de l’assemblée générale tenue le 30 décembre 2010, la Australian Nudist Federation a officiellement changé son nom pour Australian Naturist Federation. Le président de l’ANF, Greg Serow, précise que la résolution a été adoptée par les deux tiers des personnes présentes. Ce qui signifie tout de même qu’une bonne partie des membres de l’ANF était encore attachée au terme « nudism »...
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